mardi 15 décembre 2015

Mémoires d'exposition


Lieu de mémoire, s’il en est, le musée semble paradoxalement assez démuni lorsqu’il s’agit d’appréhender et d’entretenir sa propre histoire. Certes, beaucoup d’institutions ont entrepris d’écrire des ouvrages relatant les étapes franchies depuis leur création, en revanche l’archivage des éléments relatifs aux expositions est plus incertain. Phénomène relativement récent dans l’histoire des institutions, l’exposition temporaire rencontre un public de plus en plus averti et engage des corps de métiers de plus en plus spécialisés. L’historien comme le muséologue ne trouve souvent que des traces lacunaires, voire inexistantes, lorsqu’il s’agit de revenir sur des expositions temporaires après leur tenue. Pourtant cela n’intéresse pas seulement ceux qui entendent rendre compte des évolutions, mais aussi les professionnels qui peuvent trouver dans l’archivage des informations relatives aux expositions une connaissance approfondie des méthodologies, de l’évolution des métiers et accroître leur savoir faire en même temps que leur culture de l’exposition. Si durant longtemps, peu de documents formalisés existaient, il n’en est plus de même alors que les méthodes de conception des projets s’affinent et que la règle des marchés publics impose des étapes identifiées. 
Bien des visiteurs se créent une culture expographique en conservant des catalogues d’exposition, des photographies, et en multipliant les occasions de visites, cependant les professionnels ont nécessité à conserver pour se constituer non seulement une mémoire, mais pour accroître leur compétence et leur savoir faire de l’exposition. Aussi, les banques de données sont utiles pour témoigner, mais avant tout pour transmettre et pour préparer les expositions de demain.
La question de la documentation afférente à l’exposition devient plus vive dès lors qu’il ne s’agit pas seulement de témoigner d’une histoire, mais de participer au renouvellement des formes. Apparaît récemment un véritable répertoire de l’exposition, avec ses classiques, qui peuvent faire l’objet d’une re-présentation. Ainsi le Centre Pompidou revisite l’exposition de référence Les Magiciens de la Terre et le musée de la Monnaie de Paris traite des expositions cultes de Marcel Broothaers, Le Département des aigles. Alors que la biennale de Venise s’engageait à remonter la célèbre exposition temporaire proposée en 1969 à la Kunsthalle de Berne par Harald Szeeman, la question se pose donc de l’interprétation, de la variation sur un thème, voire, de la multiplicité des modalités de présentations des expositions du fait de leur coproduction et de la comparaison qu’elles peuvent occasionner. L’exposition de l’exposition devient un sujet par lui-même dès lors que la culture de l’exposition s’accroît chez les publics, et que celle-ci s’affirme comme une œuvre à part entière, tant muséographique par son discours, que par sa scénographie, transcendant les expôts (les œuvres), en eux-mêmes. L’exposition est une écriture, un travail d’auteurs singuliers, et par la même le commissariat engage à inventer ses propres méthodes d’archivages, lors de la conception, de la présentation et de sa réception. Si le théâtre multiplie les captations et la danse sa propre notation pour conserver les processus de création, les institutions doivent également réfléchir à l’inscription de leur exposition dans l’histoire. Les catalogues ne semblent plus suffisants pour rendre compte de la complexité du travail expographique et si les outils multimédias peuvent être avantageusement mobilisés, encore faut-il en réfléchir le cadre et les conditions.

Dès lors, plusieurs questions sont liées à la mémoire de l’exposition : 
- Que doit-on conserver ? Quel stade de l’exposition entend-t-on rendre compte, de son état définitif ou des étapes et processus de construction du projet ? A quel public communique t-on quel document ? La transparence de l’institution publique impose-t-elle de partager ? Qu’en est-il du versement dans les archives ouvertes et les creatives commons ? Quelles questions de droit de la propriété intellectuelle cela engendre t-il, notamment vis-à-vis des documents fournis par d’éventuels prestataires (APS, APD, Esquisse, etc) ? Concrètement comment conserver ? Avec quelles méthodes et quelles procédures systématiques ? Sur quelles bases de données, et avec quelles synergies et mutualisations éventuelles entre institutions ? Comment associer les organismes professionnels ? Quels usages et quelles valorisation des documents archivés ? Selon la nature de l’exposition, comment rendre compte des dispositifs immersifs, multimédiatiques, des installations, des expériences de visite ? Comment peut-on associer les visiteurs à d’éventuels banques de données participatives sur les images faites durant les expositions ? Comment cela peut-il s’avérer un moyen d’actions culturelles avec les publics ? En quoi l’archivage peut-il à la fois révéler la richesse des actions conduites dans le temps, mais aussi servir de supports à de nouvelles actions ? Actions culturelles hors les murs, exploration de sa propre mémoire lorsqu’il s’agit de s’adonner à son autobiographie institutionnelle ? La démarche de documentation doit-elle viser à l’objectivité ou bien à affirmer des approches subjectives, en faisant appel par exemple à une approche artistique pour en capter l’esprit ? Entend-t-on tout conserver et multiplier les prises de vues ou ne saisir que des aperçus signifiants ? Faut-il penser des outils communs de documentation par l’intermédiaire de banques de données mutualisées ou envisager au contraire des démarches singulières ? Comment les logiques d’archivage et de valorisation peuvent-elles refléter une identité et une lisibilité institutionnelle ?
La journée d’étude se penchera sur ces différentes questions à partir d’études de cas et de démarches conduites ou mises en place par des institutions. 
L’exposition en cours au Palais des Beaux-arts, La Joie de vivre, présentée dans le cadre de Lille 3000, sera prise comme exemple concret pour introduire le sujet et s’intéresser aux procédures qu’il est possible de conduire. 


Programme
9h : Accueil (entrée 18 bis rue de Valmy)
9h15 : Introduction à la journée d’étude 
Bruno Girveau, PBA
Serge Chaumier, Master MEM 
Sylvie Grange, OCIM 
Agnès Levillain, Association Les Muséographes
9h45 : Dans l’institution, que conserve-t-on des expositions temporaires ? Choix et méthode au travers d’étude de cas, avec trois témoins, animé par André Gob, professeur de muséologie à l’Université de Liège : 
  • Marie-Pierre Lahalle, Cité des Sciences et de l’Industrie
  • Anne-Marie Delattre, Musée des Confluences 
  • Marc-Olivier Gonseth et Bernard Knodel, Musée d’ethnographie de Neuchâtel 
Discussion
10h45 Pause
11h : Bruno Girveau / Jean-Marie Dautel : Présentation de l’exposition La Joie de vivre au PBA et documentation d’une exposition de la conception à sa présentation
Discussion 
12h15 Visite de l’exposition en présence des commissaires et du « faiseur d’images »
Déjeuner 
14h Après midi, animé par Rémi Parcollet 
  • Arno Gisinger, artiste. Témoigner par l’interprétation ? Du systématisme au subjectivisme, l’artiste témoin de l’exposition
  • Veerle Soens & Rocio del Casar : Exemples au Bozar, Bruxelles 
Discussion 
15h : Mémoires de l’exposition d’art contemporain, animé par Noémie Drouguet
  • Rémi Parcollet : Les Archives photographiques d’exposition
  • Stéphanie Rivoire, chef du projet du catalogue raisonné des expositions du Centre Pompidou et  Sonia Descamps, documentaliste à la Bibliothèque Kandinsky
16h Pause 
16h30 : L’exposition de répertoire ou comment revisiter l’exposition de référence, l’archive pour demain, animé par Cécile Tardy et Rémi Parcollet
  • Chiara Parisi, commissaire, L’exposition Marcel Broodthaers à La Monnaie de Paris
  • Stéphanie Rivoire (chef du projet du catalogue raisonné des expositions du Centre Pompidou). Rémi Parcollet, à propos de l’exposition Les Magiciens de la terre à Beaubourg 
Discussion
17h30 Conclusion générale : 
Du point de vue de l’Amérique du nord, Yves Bergeron, muséologue ; 

Les discussions seront animées par les organisateurs, le Palais des Beaux-arts, des membres de l’association Les Muséographes, le Master Expographie Muséographie, Cécile Tardy, professeur à Lille 3 et Noémie Drouguet, enseignante à l’université de Liège. 

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